Sur les traces du Prophète Elie ou l’impossible traduction de « kol dmama daka »

 Qui est le prophète Elie ?

 « Envoie-nous le prophète Elie de glorieuse mémoire, porteur d’heureux messages de secours et de consolations. » (Haggada de Pessah)

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Le prophète Elie est pour moi un prophète atypique aux traits de caractère étonnants. De tous les prophètes, il me semble le plus extrême, le moins mesuré, celui qui est prêt a prendre le plus de risques… il traverse la dépression, l’incompréhension et le rejet, il expérimente le silence de Dieu et celui des hommes. Il passe par la violence, l’intolérance, l’impatiente et le zèle. Il est à la fois dans la solitude la plus complète et dans la communication la plus parfaite. Il ressemble à notre époque et notre génération. Les grands maîtres du judaïsme se sont souvent penchés sur les prophètes pour trouver des réponses aux questionnements de leurs époques. Comme Job après la Shoah. J ai l intuition que l étude du prophète annonceur de la fin des temps et de la venue du messie pourrait nous éclairer sur notre époque et nos générations car, pour beaucoup, depuis la création de l état d Israël, nous sommes entre dans une ère messianique…

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Le prophète Elie est mentionne plusieurs fois dans la bible, on trouve le récit de sa vie dans le premier livre des rois puis il est a nouveau fait mention d Elie dans le livre de Malachie, le dernier des prophètes, on le retrouve dans le talmud, dans le Zohar, également dans le siracide (le livre apocryphe de « la sagesse de ben sira »). Le prophète Elie est également fréquemment cite dans le nouveau testament (évangile de jean, de luc et épître a jaques), il est considère comme le père fondateur de l ordre du carmel, il est aussi cite deux fois dans le Coran et dans le livre des Mormons. Il répond tour a tour au nom de : Élie ,hébreu : אֵלִיָּהו ēliyahū ; syriaque : īlyā ; arabe : إِلْيَاس ilyās.

 

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La figure d’Elie dans la tradition juive à une place à part. Elie accomplit de nombreux miracles dans le texte biblique. Dans le Talmud, il est celui qui rendra les décisions définitives sur des questions demeurées incertaines. Une dimension eschatologique entoure le personnage d’Elie puisqu’il est celui qui doit annoncer les temps messianiques comme l’a annoncé le prophète Malachie (3,23) : « Voici que Je vous envoie le prophète Elie avant que vienne le jour de l’Eternel, jour grand et terrible ». La disparition d’Elie (2 Rois, 2), enlevé au ciel par un char de feu et des chevaux de feu, aux yeux de son disciple et successeur Elisée, alimente la croyance qu’Elie n’est jamais mort et explique la tradition qui lui réserve un siège à part lors des cérémonies de circoncision ainsi que les passages talmudiques mentionnant ses réapparitions occasionnelles. La figure d’Elie est souvent celle d’un mystagogue, comme dans le Zohar : c est à dire une figure qui vient délivrer aux hommes les secrets de l au delà ou un personnage initiatique qui accompagne celui qui étudie et veut s élever spirituellement. Il est celui qui enseigne, celui qui transmet, celui qui révèle, celui qui accompagne, il est à la fois intermédiaire et acteur, prophète et professeur, envoyé divin et annonceur. C’est aussi un personnage messianique clef puisque n’étant jamais mort, il doit revenir avec le Messie.

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D’après le rabbi de loubavitch, le prophète Élie raffina son corps à tel point que, lorsqu’il quitta ce monde, son corps s’éleva également dans le ciel dans une colonne de feu. Un tel état de spiritualisation parfaite est précisément caractéristique de la Délivrance car, en ce nouveau temps, l’aspect physique de l’homme aura atteint ce même degré de parachèvement. Aussi “toute chair verra que la bouche de D.ieu a parlé” (Isaïe 40, 5). C’est cela qu’incarne le prophète Élie [1]. Ce qui signifierait qu’Elie aurait réussi à spiritualiser son corps au maximum, à revenir à l état d Adam et Hava au Gan Eden ou, dit le Zohar, leur corps était de lumière et n avait pas de peau…

« Dans le Premier Livre des Rois, Eliahou HaNavi est présenté simplement comme « Eliahou le Tichbite, un de ceux qui s’étaient établis en Guilad » . Rachi explique qu’il est appelé ainsi car originaire d’une région appelée « Tochev ». Il est donc impossible de déterminer la tribu d’Eliahou en se basant uniquement sur le texte.

Le Ralbag (14ème siècle) et Abrabanel (15ème siècle), deux commentateurs majeurs de la Bible, démontrent tous deux l’affirmation du Talmud : « Eliahou c’est Pin’has » ! » [2]

 

Eliahou et Pinhas partagent une qualité fondamentale dans leur service divin: le zèle jaloux. La kanaout en hébreu, que l’on trouve traduit tour à tour par zèle, jalousie, empressement ou vengeance et qui correspond à l’attribut divin de Eternel Tsebaot.

 

Rabbi Israel Baal Chem Tov rapporte à propos des qualités propres à Eliahou : « le nom d’adam contient les initiales des noms Adam David et Messie. Tout homme d’Israël doit obtenir la libération de la part du Messie qui est en lui. Lorsque tout homme d’Israël aura restitue la part de Messie qui appartient à la racine de son âme, le Messie sera prêt tout entier. Mais cela même est impossible si ce n’est par l’aspiration qui est la qualité de l annonciateur, la qualité d’Elie. »[3]

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Dans la tradition chrétienne, l’accent est mis sur d’autres qualités de Elie : la solitude, le dénuement, les privations, l’ascétisme, la spiritualité, l’humilité… il apparaît souvent dans le nouveau testament en compagnie de Moise et Jésus tandis que dans la tradition musulmane l’accent est plutôt mis sur son rôle d exterminateur et d’envoye divin pour combattre et tuer les idolâtres et l’idolâtrie.

 

 

 Kol Dmama Daka

 

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Prophète d Israël au IX siècle avant l ère chrétienne, Eliahou A Navi serait né en –927, après la mort du roi salomon. Il apparaît tout d abord dans le livre des rois pour prévenir Achab le roi d Israël de la sécheresse causée par sa parole sur l ordre de dieu. Il part ensuite se cacher près d un torrent, le kerith, affluent du Jourdain dont il boit l eau. Il est nourri par les corbeaux jusqu à ce que le torrent se tarisse puis il part vers Sidon ou une veuve de la ville de Sarepta le recueille et le nourrit malgré sa misère. Un miracle se produit alors, les denrées de la veuve, huile et farine, vont durer jusqu au retour de la pluie. Le fils de la veuve tombe alors malade, elle pleure et prie elie de le sauver en échange de son hospitalité. Elie reste seul avec l enfant, prie et met ses mains sur l enfant qui revient à la vie. La troisième année de sécheresse dieu envoi elie auprès du roi Achab. Elie réprimande le roi pour avoir sacrifie au Baal et répandu l idolâtrie en Israël, ainsi que son épouse Jezabel et le dîner qu elle a organise avec 400 prophètes d Astarte. Le roi convoque alors le peuple et tous les prophètes sur le mont carmel. Elie seul face aux 450pretres de Baal les défit : que leur dieu mette le feu a l autel s il existe. Les prêtres s agitent mais leur autel ne se consume pas. Elie dresse un autel qu il asperge d eau par trois fois. Il prie et le feu divin s abat sur l autel. Elie égorge alors les 450pretres de Baal. Achab repart à Jezreel et la pluie se remet enfin à tomber.

Jezabel menace elie de lui faire subir le même sort qu il a fait subir à ses prêtres. Il s enfuit vers beer sheva. Il marche dans le désert. Il est désespère et affame, il souhaite mourir, s endort auprès d un genet. Un ange le réveille alors et lui donne à manger. Elie peut ainsi marcher pendant 40jours. Arrive à la caverne du Mont Horeb, Elie s y réfugie. C’est là que se déroule le passage qui nous intéresse :

 

« Alors qu’il est dans une caverne où il passe la nuit, Dieu lui dit : « … Sors et tu te tiendras sur la montagne devant Dieu. Et voici que Dieu passe. Un vent très fort secoue les montagnes et brise les rochers par-devant Dieu, mais Dieu n’est pas dans le vent. Et après le vent, un tremblement de terre ; mais Dieu n’est pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre, un feu ; mais Dieu n’est pas dans le feu ; et après le feu, qol demama daqqa ».

 

 

Voyons plutôt comment l expérience d elie au Horeb pourrait être une expérience mystique et ce que cela peut nous donner comme leçon de vie actuelle. Pour cela nous allons nous pencher sur ce passage en particulier et plus specialement sur l’etonnante expression que les traductions francaises ont beaucoup de mal a rendre : kol dmama daka, oscillant entre bruit, silence et brise tenue…

 

 

C’est ici qu intervient l’hypothèse que la théophanie du Mont Horeb serait une expérience de type mystique. Premièrement Elie est complètement seul, il n y a pas d autre acteur ni sujet ni spectateur. Deuxièmement le texte lui-même retire le rôle principal à Elie. Les phrases sont de tournure neutres : il y a du vent, il y a de la tempête, il y a du feu, etc… ce qui donne l’impression de la perte du sujet au sein de l’experience sensorielle.

Masson rajoute à cela l argument rationnel que si Elie avait vécu réellement ce qu il propose être une expérience entièrement subjective, il n’en aurait pas réchappé physiquement.

Masson énumère alors les différents types d’expériences mystiques qui englobe le récit d’Elie : l’approche négative du divin, d’une part, Dieu n est pas cela ni cela ni cela, et l’absorption du moi en Dieu, ce que Masson voit dans l’expression du silence dans lequel est Dieu et ou Elie communie, d’après lui, avec la divinité :

 

« L’interprétation du passage comme description d’une extase est en outre confirmée par deux faits : 1) Le texte nous apprend qu’Elie se trouvait dans des conditions matérielles universellement considérées, sinon comme nécessaires, du moins comme propices à l’extase : l’isolement, qui efface le langage et réduit la distraction ; le silence dans un cadre immuable et monotone, qui réduit les sollicitations sensorielles ; l’immobilité, qui calme l’agitation et, enfin, une alimentation de survie précédée d’un jeûne qui inhibe les excitations et le goût de l’action ; 2) L’état de conscience paradoxal défini plus haut se retrouve exprimé en termes analogues chez d’innombrables mystiques, qu’il s’agisse de l’approche négative du divin ou de l’absorption du moi en Dieu. »

 

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« La formule qol demama daqqa pourrait donc se référer non à un quelconque phénomène externe à caractère météorologique mais bien à une expérience mystique de type interne — celle de l’extase suprême où le mystique, vidé de ce qui fait son moi, accède ardemment à Dieu. Cette interprétation présente l’avantage de respecter rigoureusement ce qu’on sait du sens de chacun des trois mots de la formule. Elle ne prête le flanc à aucune des objections que suscitent les interprétations de demama comme phénomène météorologique. Elle s’intègre bien au contexte puisqu’elle attribue cette extase à un mystique qui, de surcroît, se trouve dans des circonstances matérielles éminemment favorables à ce genre d’expérience. Elle est confirmée par les témoignages de nombreux autres mystiques faisant état d’expériences ana logues. Cette interprétation pourrait intéresser l’historien des religions car, d’abord, elle contribue à préciser le peu que nous savons du prophète Elie ; il se pourrait même qu’elle mène à reconsidérer très notablement l’opinion que nous avons de ce personnage. D’autre part, elle enrichit la connaissance de la mystique juive — apport qui mérite d’autant plus d’être souligné que, pour ce qui concerne la Bible, nous ne disposons guère que d’une seule relation explicite d’extase, celle de la vision d’Ezéchiel. Enfin, si, comme on s’entend à le considérer, le cycle d’Elie remonte à une haute Antiquité, on disposerait là du plus ancien récit d’extase non seulement du monde juif mais, sans doute, de toute l’humanité. »

 

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J’adhère à l’hypothèse de Masson et je ne rapporterai pas ici les innombrables exemples qu il énumère dans son article d’expériences mystiques de tout genre qui prouve de manière empirique le bien fondé de son affirmation (les bouddhistes, les jeunes moines, les prêtres, les convulsionnaires des Cévennes, les extases de Ste Thérèse d Avila, les soufis, les yogis, les possédés, les djoukas, la psychanalyse…). De même qu il recense chacun des éléments de la manifestation du Horeb comme un élément intrinsèque de l’expérience mystique ultime : les degrés, les étapes d’un cheminement spirituel qui va culminer dans le silence de la communion avec le divin. Le vent puis le tremblement de terre puis le feu et enfin la réponse qui se trouve dans le soi disant silence. Plutôt que de réécrire l’article de Masson, ce que je cherche à faire ici, c’est apporter un complément à cette hypothèse par le biais des sources juives et de l’hébreu. C’est me servir de l’analyse brillante de Masson comme tremplin à une exégèse typiquement juive de la théophanie du Horeb et renforcer ainsi cette hypothèse.

 

Tout d abord il faut pour cela se pencher sur les commentaires juifs de l’expression Kol dmama daka.

 

Dans son livre L’exil de la parole, du silence biblique au silence d’Auschwitz, Andre Neher se fait sourcier du silence de Dieu et du silence de l’homme et creuse cette notion de dmama.

 

« Mais si la bible sait identifier l’infini cosmique avec le silence elle sait aussi que cet infini n’est que le voile d’un autre infini, celui du créateur, dont la Parole, certes, perce à travers les immensités pour atteindre l’homme mais dont l’Etre intime ne peut s’identifier, lui aussi, à la limite, qu’avec le silence. Déjà dans le psaume 19 le silence cosmique n’est que la forme la plus éloquente de la révélation divine : les cieux racontent la gloire de dieu et l’œuvre de ses mains, c’est la voûte qui la révèle… mais tout cela sans parole ni mots, leur voix ne peut s’entendre. Ainsi le silence cosmique n est pas le signe d’une absence mais au contraire d’une présence. Présence toutefois silencieuse à laquelle les célèbres versets 11 et 12 du livre des Rois I ont donne une expression particulièrement plastique, puisque Dieu s’y découvre, ni dans l’ouragan si spirituel fut-il, ni dans le tremblement si terrestre fut-il, ni dans le feu si incandescent fut-il, mais dans la Voix du silence tenu. Ainsi la bible nous mène t-elle vers un dieu dont Moise même dont il est dit pourtant que dieu le connut face à face apprend qu il ne peut en percevoir que les traces, jamais les faces et qu Isaïe qui se flattait pourtant d avoir vu le Seigneur invoquera un jour comme le dieu caché. Et l on sait quelles perspectives ces thèmes ont ouvertes aux mystiques, qu ils soient juifs ou chrétiens ou musulmans, pourvu qu’ils puisent leurs éblouissements dans la Bible. Sans nul doute c’est la kabbale juive qui est allée le plus loin dans ce domaine, en proposant une fois pour toute, que le nom divin ne soit plus évoqué dans une forme positive mais dans le respect du repliement négatif sur soi qu implique la notion silencieuse de l’Infini : En sof, Pas-de-fin, c’est le nom que porte Dieu dans la kabbale et c’est l’identification intime de ce Nom avec le dieu caché et silencieux de la bible qui a permis à l’un des kabbalistes juifs du XIIIeme siecle, Eleazar Rokeah de Worms, de dire une fois pour toutes, afin que nous n’en doutions plus et que l’orgueil de notre parole humaine ne s’insurgeât point contre cette vérité si simple et si éloquente : Dieu est silence. »[4]

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Ce passage reprend et renforce les thèmes développés par Masson précédemment, mais Neher va plus loin et écrit quelques pages après :

Il commente l’expression du psaume 22 « lo dumya », de la même racine que dmama, que la plupart des traducteurs rendent par non-silence ou pas de repos mais que Neher commente ainsi :

« l’expression lo dumya je voudrais qu’on la prenne dans sa frappe singulière dans sa littérale négativité. Ce que la nuit offre à l’innocence du souffrant et à ses cris, c est le non silence qui est autre chose que le silence, évidemment, puisque c’en est la négation, mais qui est autre chose aussi que la parole. Car si la négation de la parole, la non parole, c est le silence, le non silence n’est ni automatiquement ni nécessairement la parole. Le non silence c’est un silence plus silencieux que le silence, c’est la chute du silence dans une strate plus profonde du néant, c’est une galerie creusée à même le silence et qui conduit à ses abîmes vertigineux. De même que la non mort n’est pas la vie, mais quelque chose d inférieur ou de supérieur à la Vie, une végétation souterraine ou bien une survie sublime, de même le non silence ouvre à qui le découvre la dimension de ses perspectives metasilencielles. Il peut s’agir d un langage qu’aucune parole et qu’aucun silence n ont jamais pu exprimer, il peut s’agir aussi de la dimension zéro du silence, ou, dans la confusion générale de tous les existants, parole et silence se perdent ensemble dans le néant. (…) le silence oppose à l’homme le dieu caché. Le non silence lui oppose un dieu dont l’être ne peut être saisi qu’à partir des racines fuyantes du Néant. »

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« Les descriptions données par les mystiques, de leurs expériences particulières et de dieu dont ils ressentent la présence, sont remplies de paradoxes de toutes sortes. Le plus déconcertant dans ces paradoxes, si l’on considère ce qui est commun aux juifs et aux chrétiens, est de voir dieu fréquemment décrit comme le néant mystique (…) unio mystica »[5]

 

Le non silence est donc une manifestation de Dieu, une variante silencieuse de sa parole, comme dans l’expression kol dmama daka. D’ailleurs il commente aussi notre passage à sa manière opposant les différents épisodes des révélations divines du livre des Rois: « d’un coté encore l’éclair fulgurant et triomphant du feu divin, tombant du ciel, et de l’autre la grisaille ténébreuse du murmure devant la grotte du horeb. En fait, le contraste est plus profond et par delà ses manifestations extérieures, il concerne le grave problème de la parole de Dieu. (…) ainsi deux renversements s’opèrent simultanément dans la conjonction des scènes successives du Carmel et du Horeb : la notion de parole est dévaluée et celle du silence accède à une valeur positive. La parole de Dieu n’est plus automatique : elle peut s’énoncer pour rien et entraîner l’échec (la scène du Horeb) et le silence n’est plus le signe de la colère divine ou de son refus, il exprime la présence divine autant et mieux que la parole. A travers ce diptyque le silence de Dieu change de signe. Du niveau de l’inerte, il accède à celui de la vie. (…) ainsi l’inertie de la création est-elle rompue. Cet univers silencieux que désignent les variantes bibliques de duma, n’est pas fermé sur lui-même. Un créateur l’habite, aussi silencieux que les retraites et les replis de la nuit et de la mort, aussi impénétrable que les souterrains de l’enfer, aussi évanescent que le néant, mais ce silence, cet impénétrable, cette évanescence, ils sont les signes de la vie, de la présence, de la parole ! Une dialectique paradoxale relie le vide metasilentiel du non silence du psalmiste, lo dumya, au kol dmama daka d’Elie qui est metasilentiel lui aussi, une vois plus tenue que le silence, mais dans la plénitude. »[6]

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La plénitude du non silence, le mot est lâché. Cette kol dmama daka d’Elie, ce non silence dans lequel entre le prophète, c est le silence originel, le silence d’avant la création, le silence qui est parole avant d’être parole, c’est le silence du aleph (Claude Vigée) qui contient en germe toutes les paroles, l énergie créatrice de la création. C’est dans cette révélation de l’unité de dieu avec sa création que plonge l’homme et le prophète Elie à sa suite lors de l’expérience mystique du Horeb.

 

 

 

 

 AYN ou ANI, chemin vers soi ou vers Lui ?

 

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« La parole est traîtresse et ambiguë, avec elle on ne sait jamais si l’on est au cœur de la rencontre. Mais le silence appelle sans contradiction. Il est le signe de cette force interne et invincible qui constitue, pour tous les prophètes, leur certitude d être inspirés par Dieu. Il est le creuset à travers lequel se sépare la prophétie vraie de la fausse. Il est le sceau de la vérité divine de la prophétie. » [7]

 

D’autant qu’on est forcé de remarquer deux choses significatives : première chose, en terme de prophétie et de révélation, ce passage est encadré de deux occurrence de la parole divine, claire et sans ambiguïté, qui s’adresse directement à son prophète pour lui poser deux fois la même question : Ma leha po Eliahou ? Lointain écho du leh leha d’Avraham et du Ayeka ? originel d’Adam. Ce qui renforce notre argument en faveur d une expérience mystique : entre deux paroles divines, il se passe un événement à la fois interne et externe qui relève de l’expérience sensorielle psychologique et émotionnelle qui touche le prophète élie. Le vent, le bruit, le feu, dans lequel « Dieu n’est pas » et puis kol dmama daka, la voix tenue du silence, sur laquelle le texte ne dit rien. C’est la deuxième remarque : On sait ou Dieu n’est pas, car le texte le précise clairement, en revanche pour le quatrième terme, il n est pas précisé comme on n’aurait pu logiquement s y attendre « et Dieu était là ». Il n’est absolument pas précisé ce que c’est. La seule chose qui peut nous mettre sur la piste est la réaction d’Elie après l’événement : il se cache la figure avec son manteau. Ce qui nous rappelle la réaction d Moche après l’épisode du buisson ardent : lui aussi cache sa face devant le Dieu vivant.

Reprenons le passage depuis le début : Elie fuit Jezabel qui veut le tuer, il marche dans le désert, il est nourri par un ange avant de marcher quarante jours et quarante nuits (là encore à nouveau le parallèle avec Moise) puis il arrive au Mont Horeb (qui est également le Mont Sinaï, qui répond aussi au nom de La Montagne de Dieu, Har Horeb= Har Sinai= Har Haelokim) et entre dans la grotte ou Dieu lui pose la question : Ma leha Po eliahou ? Qu’en est-il de toi ici ? Ou en es tu ? et Eliahou répondra par deux fois la même réponse : « Kano kinati la chem… j ai défendu mon seigneur d un zèle jaloux, le dieu vengeur car ils ont délaissé ton alliance Israël, il ont détruit ton sanctuaire et ils ont tué tes prophètes par l’épée et je suis resté seul et ils ont juré de me prendre aussi mon âme » et dieu répond : « Il dit Sors et tiens toi debout sur la montagne devant Dieu et voici Dieu qui passe et un grand vent fort qui brise les montagnes et détruit les rochers devant dieu, dieu n est pas dans le vent, et après le vent le bruit, dieu n est pas dans le bruit. Et après le bruit, le feu, dieu n est pas dans le feu et après le feu, kol dmama daka. »

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Le Malbim, Meïr Leibush ben Jehiel Michel Weiser, relève plusieurs fois cette expression : « vayleh et nafcho, vaychal et nafcho » il va vers son âme, il questionne son âme, il est dit également qu il veut mourir, en proie au désespoir. C est un écho à la question de Dieu : ma leha po eliahou ?[8]

 

Eliahou se remet en question, rentre en lui-même, dans un face à face avec son âme et avec dieu, il est désespéré et veut tout abandonner. Il est du coté de Dieu et non du peuple. Il ne trouve pas d’excuse au peuple, comme Moise qui se tenait au même endroit et reçu la Torah après avoir défendu le peuple, même après que celui-ci eu fauté de la faute du veau d’or.

 

Mehilta, parachat bo, chap I : « trois prophètes. L’un fit passer la gloire du père avant celle du fils, l’autre fit passer celle du fils avant celle du père, et le dernier se montra aussi exigeant envers l’un qu’envers l’autre : Jérémie exigea et la gloire du fils et celle du père. N’est-il pas dit Nous avons fauté et nous nous sommes révoltés et toi tu nous as pardonné (lamentations 3,42)aussi sa prophétie fut –elle doublée, n’est –il pas dit « et s’ajoutèrent de nombreuses paroles comme celle-ci. »

Eliahou, zélote du père, négligea la gloire du fils, n’est il pas écrit au livre des rois I 19,20 : j’ai fait éclater mon zèle pour toi mon seigneur parce que les enfants d’Israël ont répudié mon alliance, renversé tes autels, fait périr tes prophètes par le glaive, moi seul je suis resté et ils cherchent aussi à m’enlever la vie. » Quel en fut le salaire ? Écoutons : « vas et retourne au désert de damas et élisée fils de chafat tu oindras comme prophète car il est impossible de continuer avec ta prophétie. » quant au troisième prophète, Jonas, il préféra la gloire du fils à la gloire du père :

« et Jonas se leva pour s enfuir à Tarsis de devant dieu. Et la parole de Dieu fut sur Jonas, une deuxième fois. » une deuxième fois, pas une troisième. »[9]

 

Lors du Matan Torah, du don de la Torah, la révélation de Dieu se fit aussi par le feu, le bruit et le vent, spectaculaire. Mais rapporte le rav Ygal Ariel dans Mikdach Meleh, ce n’était pas la révélation de la shrina elle-même, la théophanie du Sinai commence par le fracas mais se termine par un bruit tenu, un silence qui chante, quelque chose d’impalpable à la limite du perceptible : (chemot raba) après le bruit, le monde entier fit silence et ensuite seulement sortit la voix. Comme elifaz dans job qui rapporte sur la révélation : il m’est venu une révélation furtive, mon oreille en saisi un léger murmure. Les manifestations surnaturelles fracassantes ne sont pas Dieu lui-même, elles sont une entrée en matière. Elles plongent l’homme dans l’état adéquat (chemin spirituel qui conduit à l’expérience mystique ultime, l’unio mystica) pour percevoir l’imperceptible, au delà des sons de la logique et de la matière.

D’apres Saadia Gaon, Dieu se manifeste a l’homme de facon pedagogique en allant du plus facile au plus difficile : « lorsqu’il a voulu faire entendre sa voix a Moise, il a menage sa vue en l’elevant de facon progressive. Il lui a donc fait apparaître un feu terrestre dans le buisson, comme il est dit : il vit que le buisson etait embrase par le feu, ; lorsqu il a pu supporter cette lumiere, il lui a fait apparaître la lumiere de l’ange, comme il est dit : un ange lui apparut et ceci bien que le texte mentionne l’ange avant le buisson, quand Moise a pu supporter la lumiere de l’ange, Il lui a montre la lumiere appelee chrina, presence, comme il est dit : dieu l’appela du milieu du buisson. De meme pour la revelation du Sinai, de meme pour Adam. »[10]

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Pour comprendre l’expression kol dmama daka il faut chercher dans le tanah la toute première apparition du mot dmama et elle concerne Aaron A cohen : Vaydom Aaron. Après la mort de ses enfants, justement trop zélés Aaron se tait, il fait silence et ce silence est commenté comme étant le symbole même de la Kabalah totale, l’acceptation entière de la justice divine, ol malhout chamayim. Ce silence qui n’est pas un silence normal (cheket, chatak, chtika mais dom, duma, dumya dans lequel on retrouve la racine du mot dam, le sang, dont rabi nahaman dit qu’il est le « nefech a haym », l’âme de la vie) est donc liée à  la vie et à la mort.

Il peut donc prendre autant un sens négatif qu’un sens positif, il peut autant être du coté du minuit que du midi des choses (voir les commentaires de Neher sur le emtsa du Maharal). Rav Ygal Ariel va jusqu’à dire que ce silence plein est Aspaklaria Meira, révélation de la présence divine directe et entière, à l’image de la manière de recevoir Dieu de Moise, sans intermédiaire, en se plaçant directement à l intérieur de sa présence.[11] Comme Jonas à l’intérieur du poisson femelle (commentaire de ruth reichelberg)

 

« il s’engouffra dans sa gueule comme s’engouffrerait un homme dans une grande synagogue et se tint l). » pirkei de rabbi eliezer. C’est la une bien curieuse comparaison : voir dans l’abdomen d’un poisson une synagogue, lieu de recueillement et de prière, c’est donner un sens très particulier a cet avalement. Le midrach ne cherche t-il pas a nous expliquer par la que Jonas arrive au cœur même de la Présence ? cette disparition a soi-même est une mise en gestation au sein de la Présence. D’ailleurs Jonas restera la trois jours et trois nuits dans le ventre marin. De nombreuses incidences enrichissent ce chiffre trois (…) constitue la voix médiane qui sépare les opposes, au nombre trois il y a une possibilité d’harmonie (…) la vérité étant la possibilité pour les contraires de coexister. »[12]

 

Sur ce passage et l’expression kol dmama daka, le Malbim, citant le Radak, donne justement l’explication suivante : il rapproche tout d’abord le feu, le bruit et le vent de la vision de la merkava d’Ezechiel et indique que se sont autant d’écrans avant d’arriver a la présence elle-même. Qu’ils sont introduits par le gâteau de « rechafim » (gâteau que l’on cuit sur les braises) qu’Elie mange avant de s’endormir, rappelant les braises d’Ychayahou. Kol dmama daka c’est, dit le Malbim, la « klipat noga a daka ou betoha ayn ahachmal », la dernière écorce fine à l intérieur de laquelle se trouve le « aym ahachmal », la présence divine, comme de se trouver dans l’œil du cyclone…[13]

 

« alors l’âme devient son propre centre, le chemin de l’âme, au milieu de la multiplicité abyssale des choses, vers l’expérience de la Réalité divine, maintenant conçue comme l’unité primordiale de toute choses, devient sa principale préoccupation. »[14]

 

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 Echec ou Victoire d’Elie ?

 

 

Il semblerait qu’Elie ait échoué dans la mission que Dieu lui a confié. Envoyé de Dieu, extrémiste du cote du ciel uniquement, Elie pense que l’on peut convertir le peuple de force, et Dieu lui donne une leçon d’humilité, on éduque le peuple par la douceur et non par la force, par le chant, le souffle tenu, la legerete de la Présence et non seulement en renversant la montagne sur sa tête. Le psaume rapproche le kol dmama daka du son du chofar (prière de moussaf des yamim norayim : ou bechofar gadol ytkea vekol dmama daka yachmia). La prophétie va donc passer d’Eliahou à Elisha (de la force a la douceur, du feu au silence, comme on le voit dans la signification de leurs noms respectifs). Elie aurait du être transformé par l’expérience du Horeb, et pourtant après la kol dmama daka, Dieu lui repose la question : ma leha po eliahou ? et eliahou répond la même réponse qu avant : « kano kinati lachem… ». il est resté le même, il n’a pas infléchi sa direction d’un iota… alors la sentence tombe : retourne dans le désert de damas et vas trouver elisha pour te succéder…

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Pourtant tout ne s’arrête pas la comme on aurait pu le croire. Eliahou n’est pas mort, il apparaîtrait qu’il est trouvé le secret de l’éternité, qu’il soit entièrement du cote de la vie, qu’il est réussi commente le rav aviner, à rendre son corps lui-même kodech, saint.[15] On retrouve Eliahou a la fin du tanah, dans le dernier des prophètes, Malahi, qui se termine par la venue d’Eliahou a navi a la fin des temps, avec le Messie, chargé d’une nouvelle mission : « zahrou torat moche avdey acher tsiviti oto ba horeb al col israel houkim ou michpatim. Ine anohi choleah lahem et eliahou a navi lifne bo yom hachem agadol ve anora. Veechiv lev avot la banim ve lev banim al avotam pen avot (vehiketi et aarets herem)”: « Souvenez-vous de la Loi de Moise, mon serviteur, a qui j’ai signifie sur le Horeb, des statuts et des ordonnances pour tout Israël. Or je vous enverrai Elie, le prophète, avant qu’arrive le jour de l’Éternel, jour grand et redoutable! Lui ramènera le cœur des pères a leurs enfants et le cœur des enfants a leurs pères (de peur que je n’intervienne et ne frappe ce pays d’anathème.) » (L’autre personnage ésotérique qui n’est pas mort selon la tradition et apparaît pour enseigner les secrets de la Torah c’est Hanoh)

 

Il aurait réussi a relier son âme et son corps a Dieu par deux étapes décisives : son corps, par la terre et l’eau lors de la théophanie du Carmel, son âme par le feu et le vent lors de la théophanie du horeb. Lorsque c’est son heure de partir, il passe le Jourdain dont il ouvre les eaux en deux avec son manteau roule puis il s’envole dans un char de feu. Il est donc lui-même le char de la délivrance commente le Malbim (char a geoula). Il est devenu partie intégrante de la prophétie. Il a réussi à faire corps avec la prophétie.

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Ses différents rôles et apparitions s’éclairent alors d’un jour nouveau :

Eliahou le Tischbi (tischbi=yachiv=techouva=retour=reparation<geoula=redemption) revient réparer son intransigeance envers le peuple d’Israël. Son ascendance avec Pinhas A cohen, s’explique par la Kanaout, le zèle, qui le caractérise, mais aussi la kehouna, Aarona Cohen qui se tait devant la mort de ses enfants est aussi celui qui est toujours occupé a bâtir la paix en ce monde, entre les hommes (ohev chalom ve rodef chalom). A l’heure de la havdalah, a la sortie de chabat, au moment ou le messie doit venir, eliahou est occupe a « mone srouyot chel israel », compter les bonnes actions du peuple pour faire pencher la balance et hâter la venue du messie, au seder de Pessah, le cinquième verre, la coupe d’Eliahou a navi correspond a la dernière expression de la rédemption : ve heveti le erets israel, il ramène les exilés des quatre coins de la terre, a chaque Brit Mila, circoncision, Eliahou A navi est présent pour renouveler l’alliance entre Dieu et le peuple par l’intermédiaire de la chair afin d’élever la chair et de la rendre aussi sainte que l’âme divine enfouie en l’homme. Enfin Eliahou se révèle a qui peut le voir (Guilouy Eliahou) afin de régler les conflits et d’apporter toutes les réponses car il appartient autant a ce monde ci qu’au monde futur. Il réconcilie les cœurs des pères aux cœurs des fils et rapprochent les fils des pères comme il a su relier son corps et son âme a Dieu en parfaite harmonie. Il commence par Israël et sa paix s’étend au reste du monde, entre Israël et les nations, entre Dieu et les hommes, entre toute la création et son créateur, entre le corps et l’âme du monde… pourquoi lui et non un autre prophète ?

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Car Eliahou enseigne le chemin du retour à la prophétie, du retour au corps à l’âme, c’est le sens de l’expérience mystique ultime, celle qui relie entièrement le corps à l’âme. Ce n’est pas seulement l’âme qui retrouve sa source, se séparant ainsi du corps et de la matière mais le corps et l’âme qui dévoilent ensemble l’unité du créateur. Présent à la fin des prophéties, il sera également présent au début de la fin des temps. On dit que Malahie est aussi Ezra, le dernier des prophètes mais aussi le premier des sages. Il y a une continuité. La prophétie est partie, la chrina est en exil, le peuple est dispersé, mais Eliahou a navi est toujours vivant, espoir de vie d’Israël, promesse renouvelé à chaque naissance, à chaque circoncision, comme une nouvelle création (bria hadacha), a chaque seder de pessah (tout homme doit se considérer comme s’il sortait lui-même d’Egypte), espoir universel de rédemption et de paix pour toute l’humanité. Le plus violent, le plus vengeur, le plus ardent des prophètes de Dieu, brûlant du feu divin, a su trouver comment devenir l’ange de la paix et l’annonceur du messie, grâce à son zèle, à sa volonté et à la générosité du créateur, qui a opposé le Hessed au Din, le silence au sang : kol dmama daka, le bruissement tenu de la présence divine, qui fait écho au « souffle divin qui planait sur les eaux » (rouah merahefet al pne a mayim) et organisait le chaos d’avant la création, il organisera aussi le chaos de la fin des temps, comme le bruissement à peine perceptible des ailes des oiseaux du Zohar qui annonce par leur chant, un nouveau langage, une nouvelle forme de vie : la paix de l’âme et du corps, mélodie du créateur : kol dmama daka.

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Le Rav Kook à la suite de Rabbi Akiva place le Chir A Chirim parmi le plus saint de tous les écrits, bien plus haut que de tous les autres chants. Ce chant d’amour et de langueur entre le créateur et son peuple, entre un peuple et sa terre, entre la vie et la mort détient les secrets de la fin des temps. « Car il est des palais qui ne s’ouvrent qu’au son de certains chants » dit le zohar. « simani kehotem al libeha kehotem al zoreha ki aza kamavet ahava kacha kecheol kina, rechfeya rechfey ech chalevetya » : « inscris moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras car l’amour est fort comme la mort la passion dur comme le cheol ses braises des braises de feu une flamme divine » . [16]L’amour qui relie le créateur à sa créature, le peuple et son dieu, le fiancé et la fiancée du cantique est un amour scellé sur le cœur et dans le bras, dans l’âme et dans le corps, à l’intérieur et à l’extérieur, un amour entier, total, sans filtre et sans intermédiaire. Au delà de l’espace et du temps. Cet amour est parfois jalousie, zèle, exaltation : « kina » la qualité de pinhas et d’élie. Cet amour qui garantie la vie éternelle trempe ses racines dans la mort et le cheol car ce sont les deux faces d’une même pièce et c’est seulement l’alliance des deux qui entretient la flamme divine tapie en chacun : rechafim, le gâteau mange par Elie, ses braises alimentent les braises de Dieu et ensemble elles enflamment l’autel, et c’est la révélation du carmel, ou alors elles sont enfouies dans les cendres des temps de la séparation et de l’exil, et c’est le doux murmure du Horeb, attendant le moment du réveil, le moment du retour, le moment de la Techouva. Et voila comment la kina, la vengeance, le feu et l’intransigeance se transforment en amour, en paix, en vie éternelle grâce à l’alliance scellée entre les deux parties, promesse renouvelée à chaque naissance, ivresse de l’amour et de la passion qui vont jusqu’à l’extase quant il n’y a plus ni vie ni mort mais un chant unique, une seule étreinte ou les souffles des deux amants se mêlent tant et si bien qu on ne sait plus lequel appartient à qui, car il n’est pas précisé dans le texte si cette voix tenue du silence est celle de Dieu ou celle du prophète Elie qui aurait atteint le cœur de son âme, chalevetya, la flamme divine au centre de son coeur, ce que traduit « kol dmama daka ». De même qu’il a acquis le contrôle de la matière sur le Carmel, il acquiert le contrôle du spirituel sur le Horeb et devient immortel. Je pense qu’il y a ici, dans ce cas précis d’Elie, une expérience prophétique doublée d’une expérience mystique qui se traduit par la qualité caractéristique d’Elie : la kanaout (fougue, zèle, jalousie, volonté, aspiration…)qui le pousse au devant de dieu, qui lui permet d’effectuer ce mouvement vers dieu EN MEME TEMPS que dieu opère un mouvement vers lui, et c’est ce qui le rend si spécial au sein de tous les autres prophètes et explique son rôle clef dans l’économie divine de la rédemption. Ce qui fera de lui non seulement l’annonciateur du messie mais également le pacificateur entre les hommes car il détient le secret de TOUTES les expériences humaines en même temps : a la fois celle du don ET EN MEME TEMPS celle de la réception, étant présent A LA FOIS dans ce monde-ci et dans le monde futur, ayant déjà réalisé l’unité divine au sein de son propre corps et de sa propre âme, il est le « char ageoula » dit le Malbim, le passeur, participant à tous les temps et à toutes les joies d’Israël.

 

Hanna Serero

Cet article est écrit pour l’ élévation de l’âme de mon grand-père, Robert Isidore Nissim Mordehay Ben Rivka ve Aaron de mémoire bénie…

LES IMAGES QUI ILLUSTRENT CET ARTICLE SONT DES PEINTURES D’ALINE MOPSIK:

http://www.aline-peintures.com/

[1] Likouteï Si’hot, vol. II, p. 160

[2] Voir article de Yona Ghertman, Mais qui est eliahou a navi?

[3] Le Jardin du Hassidisme, Eliezer Steinmann, Jerusalem Press, p127

[4] L’Exil de la parole, Andre Neher, Seuil, 1970 ; p15

[5] Les grands courants de la mystique juive, G.G. Scholem, ed Payot, 1960, p 17

 

[6] L’Exil de la parole, Andre Neher, Seuil, 1970 ; p93

[7] L’Exil de la parole, Andre Neher, Seuil, 1970 ; p135

 

[8] Mikraot Guedolot / Malbim

 

[9] L’aventure prophétique, Ruth Reichelberg, Albin Michel 1995 ; p59

 

[10] Les théories des visions surnaturelles dans la pensée juive du moyen age, Colette Sirat, Leiden, 1969, p22. Cette idée de la pédagogie divine qui va du plus facile au plus difficile se trouve aussi dans Tanhuma sur Deutéronome.

 

[11] Mikdach Meleh/ Rav Ygal Ariel; p 159

 

[12] L’aventure prophétique, Ruth Reichelberg, Albin Michel 1995 ; p114

[13] Mikraot Guedolot / Malbim

[14] Les grands courants de la mystique juive, G.G. Scholem, ed Payot, 1960, p20

 

[15] Nessihey Adam/ Rav Chlomo Aviner; p308

 

[16] Perouch Chir A chirim/ Rav Chlomo Aviner; p212

 

Le prophétisme au quotidien

Le prophétisme au quotidien c’est ce qui répond à l’injonction d’André Neher : « Mais qu’est-ce que tu attends pour mettre en action tes paroles ? »


Comment la parole de dieu devient-elle existence juive ? Comment cette parole peut-elle rester vivante à travers les siècles, malgré l’arrêt officiel de la prophétie dans le monde, jusqu’à toujours nous atteindre, aujourd’hui, nous toucher au cœur de notre être et nous trans-former, trans-porter jusqu’à la com-préhension et la réalisation de nous-mêmes en tant que peuple juif ?


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Les idées de Neher surgissent en réponse à la Shoah, dans un contexte de reconstruction. Dans la France dévastée de l’après-guerre, il est urgent de redonner de solides assises à un judaïsme décimé par les nazis et la complicité du gouvernement de Vichy dans la déportation des Juifs de l’hexagone. Il faut affirmer la continuation de l’histoire juive et donner à la Shoah sa place et son sens dans cette histoire. Neher et son enseignement se font entendre surtout après la création de l’État d’Israël. Celui qui n’a pas été ébranlé par ces deux évènements ne vit pas dans ce monde, nous dit Neher. Ils sont les deux extrêmes du vingtième siècle et font partie intégrante de l’histoire juive particulière et de l’histoire universelle. Neher à ce moment crucial de l’histoire n’est pas seul à vouloir redonner du sens aux Juifs pour survivre, vivre et s’affirmer. D’autant plus que la scène intellectuelle de l’après-guerre est dominée par l’existentialisme qui attire à lui beaucoup de jeunes en quête de sens. Ce sont donc trois intellectuels juifs qui chacun à sa façon vont devenir les trois piliers de la renaissance du judaïsme français : Léon Askénazi dit Manitou, Emmanuel Lévinas et André Neher. Au sein d’un mouvement qu’on nommera plus tard l’école de pensée juive de Paris, ils montent une école et multiplient les colloques. L’atmosphère d’alors : on met de côté les dissensions idéologiques, l’heure est à l’urgence : il faut réapprendre à apprendre.


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La clef de l’œuvre comme de la vie de Neher, c’est le prophétisme. Car pour réapprendre ce qu’est l’être juif, il faut revenir à l’origine du judaïsme et l’origine du judaïsme c’est la parole divine. Dieu qui s’adresse à l’homme, sans intermédiaire. La prophétie juive, la Nevoua, est une modalité de la Révélation. Le prophète est le porte-parole de Dieu aux hommes. La prophétie ne dévoile pas l’avenir mais la connaissance de la volonté de Dieu, sa parole. La prophétie juive se différencie ainsi de la prophétie grecque ou chrétienne, tout comme elle est à bien distinguer de la poésie, de l’art en général et de la magie qui pourtant traitent aussi d’absolu. L’Essence du prophétisme écrit par Neher en 1955 conceptualise la prophétie juive tout en l’isolant d’autres pratiques. Le prophétisme est le fil rouge de la pensée de Neher, une pensée associative qui a tendance à se ramifier. La pensée neherienne effectue un mouvement général de boomerang: elle part de l’universel, la parole divine, pour s’attacher au particulier, le ou les prophètes étudiés, ainsi des premiers livres de Neher comme Amos (1950), Moïse (1956) ou Jérémie (1960) qui sont de véritables monographies. De ce particulier va se dégager une catégorie particulière, la pensée juive appliquée au peuple juif, ce que Neher nomme l’existence juive, avec cette fois-ci des livres de théorisation du judaïsme comme L’existence juive, solitude et affrontement (1962) ou des interviews comme Le dur bonheur d’être juif (1978) où Neher s’appuie sur son propre témoignage. Il parle de son sujet de l’intérieur: qu’est-ce que l’existence juive ?


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Cette existence particulière sert l’universel, elle a un sens et ce sens c’est le messianisme, ce qui nous ramène à la parole divine. Cette fois ce sont des livres sur la Shoah, comme L’exil de la parole (1970) ou sur l’État d’Israël comme Dans tes portes Jérusalem (1972) qui montrent, entre autres, comment ces événements de l’histoire juive sont des éléments incontournables et révélateurs pour l’histoire universelle, et vice-versa. L’ensemble de ce mouvement est ce que nous avons appelé le prophétisme au quotidien. A noter tout de même que le boomerang ne revient pas exactement au même endroit. Il revient, mais toujours un peu plus haut, toujours un peu plus loin qu’avant car c’est un retour doublé d’une montée, un dépassement. On trouve cette notion dans les livres de Neher les moins connus et les plus ardus, comme Le Puits de l’exil (1966) ou Faust et le Maharal de Prague (1987).

La prophétie juive se distingue des autres formes de parole. Par exemple, l’absolu n’y est pas objet mais sujet. Le prophète est pris par Dieu. Le prophète est alors dans le temps de Dieu, ce que Neher appelle « inchronisme » où tout est lié. Passé, présent et avenir s’inscrivent dans le projet divin proposé à l’homme : la brit. En se dévoilant la parole dévoile que l’homme et le monde eux-mêmes sont l’endroit où Dieu réside. Les vies humaines sont alors toledot, c’est-à-dire évènements rendus signifiants par la Parole. La parole est composée de « Rouah » les lois de la nature et de « Davar », ce qui permet le dialogue entre l’humain et le divin. La parole divine, rouah et davar, c’est l’immanence et la transcendance révélées et proposées à l’homme.

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Dieu élit et transmet sa parole aux prophètes qui doivent la retransmettre au peuple. L’élection de Dieu altère et transforme toute personne touchée par sa parole. L’élu est totalement au service de Dieu. La vie du prophète va devenir message divin. Ce que Neher appelle « psychodrame » où tout fait sens. Tout comme il y a plusieurs prophètes, il y a plusieurs formes et niveaux de prophétie. De la plus claire, celle de Moïse comme base, Torah Orale et Ecrite, aux suivantes.

La prophétie dépend de l’émission, presque autant que de la réception et de la transmission. Il dépend donc presque autant de l’homme que de Dieu que la prophétie soit parole ou silence. Si l’homme interprète le silence de Dieu comme espace potentiel pour agir ou parler alors le silence ne sera jamais inertie mais bien élan. La réponse que Dieu attend est le respect des termes du contrat : les commandements et les prières sont les paroles et les actions des hommes qui répondent à l’attente de Dieu. Entre tout un chacun et Moïse, il y a les autres prophètes qui se singularisent, par exemple, par le type de relation qu’ils entretiennent avec Dieu.

Le mécanisme de la prophétie ne se limite pas au seul prophète, il s’étend au peuple prophète, le peuple juif. Dieu a élu un partenaire qui soit le trait d’union entre Lui et l’humanité. Comme on prend femme, Dieu prend le peuple qui accepte l’union. L’élection divine altère et cette transformation engendre une responsabilité éthique infinie car, soudain, le peuple est à tout jamais dans l’œil de Dieu. Tout Juif doit encore le devenir activement : c’est la révélation, sinon son potentiel de prophète reste éteint et c’est le silence de l’inertie. Quand le Juif est existence et non refoulement c’est alors le prophétisme au quotidien, un mariage consommé. La révélation dévoile au peuple juif son être et sa mission : il doit faire accoucher le monde de Dieu. Comment ? Par les mitsvot, les commandements de la Torah qui sont la traduction de la volonté divine, c’est-à-dire des actes que l’homme et Dieu ont en commun par la sanctification des êtres et des choses, autrement dit, leur transcendance.
Le but de l’existence est la transcendance de l’être dans l’être. Dieu invite l’homme, par l’intermédiaire du peuple juif, à un « au-delà de l’être », ici et maintenant. C’est le projet divin, un projet messianique. Seul l’homme est capable d’être ce partenaire que Dieu appelle car l’homme seul a reçu le pouvoir de nommer Dieu, de créer du sens et de rajouter du sens à ce qui en a déjà. Dieu appelle et attend, « en pleurant » nous raconte Neher. En cela la volonté de Dieu est bonne car sa souffrance vient de son attente par laquelle il offre à l’homme la liberté de remplir cette béance que Dieu lui-même s’inflige : Dieu attend que l’homme vienne le réparer, que l’humanité entière, à terme, prophétise. Le prophète est l’homme qui arrive à relier les contraires, à réparer l’irréparable, il est celui qui peut rendre l’absolu relatif et le relatif absolu, tout en gardant à l’esprit que lui n’est rien et que Dieu est tout.


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Cet homme-là, c’est Israël. Israël le peuple comme Israël la terre. C’est l’homme qui endosse l’armure de Jacob et entre dans la nuit pour en révéler l’aube et triompher de lui-même en restant debout devant Dieu. La blessure se change ainsi en bénédiction, la lutte en épreuve et l’épreuve en triomphe. Cette révélation n’a pas lieu n’importe où, l’endroit de la lutte est également l’endroit du rêve de Jacob et l’endroit où s’élèvera le temple de Jérusalem. L’absolu n’a pas de contour, mais il a un centre : Jérusalem. De Jérusalem émane la parole. La terre d’Israël, le peuple d’Israël et la Torah sont faits pour aller les uns avec les autres, ils sont les trois termes de l’équation divine et chacun reste ce formidable potentiel non exploité, nous dit Neher, tant qu’il n’est pas réuni aux deux autres. Jérusalem est non seulement centre mais également limite du monde. Ce rôle paradoxal c’est aussi le rôle d’Israël face aux nations : le point de passage, la ligne de rupture, le réservoir d’énergie ou le tampon du monde.


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L’homme prophète comme l’homme juif sont et restent des hommes. C’est leur existence en tant que peuple qui est messianité en cela qu’elle participe au projet divin. L’existence juive s’oppose à un existentialisme qui serait anti-messianique par son encensement du néant, sa culture du vide et son piétinement de l’histoire qui va jusqu’au non-sens. A cela le Juif répond par son existence. Chaque homme est le messie en potentiel. Est messie celui qui sait transformer « le minuit en midi de l’histoire », le mal en bien et l’existence juive est l’illustration du passage de la parole prophétique en action messianique. La pensée juive a un sens universel et donne un sens à l’universel : vers la vie. Neher reprend le schéma de L’étoile de la rédemption de Rosenzweig pour expliquer le parcours qui mène de la création à la rédemption. « Au lancement, il y a la création, universelle. Sur la route voilà la révélation, particulière. Thèse et antithèse. Le dépassement se fait par la rédemption messianique dans laquelle le Judaïsme engage simultanément sa propre destinée et celle de l’univers. »


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L’existence « à part » du peuple juif lui permet d’être ce garant et témoin de Dieu à travers l’histoire, l’intermédiaire entre le monde et Dieu et le gardien des règles existentielles et de l’éthique universelle. Le judaïsme apporte au monde des notions élémentaires qui sont la base de vie d’une société saine : le Dereh erets, c’est-à-dire le rapport au monde, le travail et l’effort récompensé illustrés par le chabbat, l’amour du prochain et la crainte du créateur, c’est-à-dire le rapport à l’Autre. Le judaïsme enseigne aussi la parole et le fait que Dieu est Tout, c’est-à-dire d’une part que rien n’est sûr et d’autre part que tout est possible.

Enfin, et c’est je crois ce qui rend Neher terriblement actuel et qui fait de sa pensée un tremplin incontournable pour les générations futures : le judaïsme répond à la mystérieuse question, comment passer du Rien au Tout ? Du néant à la création ? Comment revenir à la vie, et même, à plus que la vie ? Par la réparation, la reconstruction. C’est la rédemption, et la révélation est là pour nous l’expliquer. Entre deux extrémités, il y a toujours un trait d’union. Le tout étant de trouver ce que Neher reprenant les termes du Maharal nomme le Emtsa. Pour trouver ce pont jeté au-dessus de l’abîme, il faut trouver au cœur de soi la Emouna qu’on traduira par confiance en l’absolu, quel qu’il soit. C’est ce qui peut, toujours, faire passer d’un terme que tout oppose à l’autre : rien n’est sûr « ET POURTANT » tout est possible. « Et même si le messie tarde, je continue de l’attendre », et non seulement je l’attends et je crois en lui, nous dit Neher, mais je l’attends activement. Je le fais venir par l’intermédiaire de ma Emouna et de mes actions en ce monde. Et ce même si tout semble perdu, même s’il me semble que Dieu se cache, je défie les apparences. C’est l’attitude messianique car au-delà de toutes les épreuves ma volonté d’homme rejoint celle de Dieu.

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Il nous faut trouver l’équilibre entre l’être et l’avoir et choisir le milieu comme défi à l’absolu afin d’être cet homme qui face à Dieu peut dire fièrement ME VOICI. Dans ce combat, nous dit Neher, heureusement, l’homme n’est pas seul, Dieu lui parle et l’homme peut y puiser de quoi remplir son existence et inventer la réponse. Ce que l’on découvre surtout c’est que lorsque l’homme entre dans la parole, c’est dans l’éternité qu’il pénètre. Les contingences n’ont plus de prise sur lui et il est alors presque l’égal du prophète Elie voyant le début comme la fin du projet divin, participant à toutes les époques et à toutes les mitsvot. Il est plus qu’un simple maillon dans la chaîne, c’est lui qui annonce et accompagne le Messie. C’est peut-être notre génération ou celle de nos enfants…